Voyage en photographie

Voyage en photographie

Carine    Doutrelepont   est avocate aux Barreaux de Bruxelles et de Paris, professeur ordinaire à l’Université
libre de Bruxelles et membre de l’Académie royale de Belgique. Elle a acquis, en 2019, le titre de photographe
professionnel, après avoir suivi diverses formations en France, en Allemagne. Depuis des années, elle a
photographié l’humain et des sites exceptionnels aux quatre coins de la planète. Elle a exposé dans différentes
villes européennes, dont Bruxelles, Mons, Paris et Frankfort, ainsi qu’américaines dont New-York ( Chelsea),
et participé à plusieurs foires internationales. Elle est interviewée pour le Grand Journal du Droit par l’ancien
ministre de la Justice et bourgmestre de Courtrai Stefaan De Clerck, président du Conseil d’administration de
Proximus, sur sa passion photographique qui coexiste avec celle de son métier d’avocat

 

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Avocate  et  photographe  professionnelle  désormais,  comment  en  es-tu  venue  à  la 
photographie ?  Le  job  académique,  l’avocature  et  l’Académie  royale  ne  te  suffisaient 
pas ?  Une passion que tu poursuis, j’entends, mais qui te prend du temps. 

 

Le temps est élastique et nos passions nous aident à le dilater.  J’ai toujours été attirée 
par  la  création  et  j’en  ai  fait  mon  métier  premier :    en  devenant  avocate  en  droits 
intellectuels  et  en  droits  des  médias,  matières  que  j’enseigne  également  à  l’université. 
Plus  fondamentalement,  l’image  m’est  souvent  apparue  comme  une  source 
extraordinaire d’inspiration, de témoignage et de liens avec soi-même, avec l’autre, avec 
le monde.  Ma fille Milena a joué un rôle cardinal dans ce choix photographique car elle 
m’a  accompagnée  dans  mes  premiers  voyages  en  terres  volcaniques  et  nous  avons 
réalisé  ensemble  nos  premières  expositions.    Il  y  avait  aussi  cette  envie  forte  de  lui 
partager  cet  esprit  d’évasion  qui  enrichit  l’être  humain,  comme  l’écrit,  Sylvain  Tesson 
« Sous  les  étoiles  de  la  liberté ».    Notre  métier  d’avocat  nous  fait  également  vivre  des 
choses passionnantes mais souvent loin  de nos proches, de notre famille.  Photographier 
devenait un prétexte pour voyager et surtout pour aller à la rencontre de la  Nature et de 
l’Autre. Et puis, la photo, c’est aussi un  besoin de m’engager différemment, de défendre 
des causes par d’autres voies que par la voie juridique. Tout cela est complémentaire au 
fond.  Comme le travail juridique, la photographie, est une forme d’écriture, et permet la 
rencontre  avec  le  monde  et  soi-même  ainsi  qu’un  témoignage  sur  le  réel,  à  travers  un 
filtre  subjectif,  un  parti  pris  photographique,  qui  a  des  connivences  avec  le  parti  pris 
juridique. 

 

Est-ce que tu te trouvais artiste dans ta jeunesse ? 

Franchement,  je  n’en  ai  aucune  idée.    C’est  une  question  que  je  ne  me  posais  pas  à  l’époque.    Les 
livres  me  nourrissaient  ainsi  que  les  rêves  qui  les  accompagnaient.    L’académie  de  Watermael-
Boitsfort était un lieu d’accueil fabuleux pour la jeune adolescente que j’étais.  Son jeune directeur de 
l’époque, le compositeur Frédéric Van Rossum, permettait la pratique des arts avec bienveillance.  Les 
artistes y partageaient leur passion et j’étais fascinée par leur univers dont je ne voyais que les beaux 
côtés.  Nous étions une petite équipe à y faire de la déclamation, du théâtre et à écrire des poèmes.  
Plus  tard,  ce  fut  Albert  Aygueparse  qui  accueillit  quelques-un  de  mes  poèmes  dans  sa  revue 
« Marginale ».  En définitive, c’est un livre de photos que j’écris aujourd’hui, après des livres de droit, 
en y inscrivant certains poèmes ou textes pour accompagner  mes photos. 

As-tu  fait  de  la  musique  car  tes  photos  on  les  verrait  bien  accompagnée  de  musique ?  
Il  y  a  des  mouvements  d’images.    C’est  la  nature  qui  évolue,  comme  la  musique  qui  se 
transforme. 

 

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Comme toutes les écritures, la photographie a sa mélodie.   Elle  initie  un mouvement, elle existe dans 
l’ attente et suscite toujours un élan comme en musique. Lorsque l’on arrive à transmettre la vibration 
du  vivant,  l’émotion  du  moment,  on  a  pris  une  belle  photo.    Ou  c’est  plutôt  la  photo  qui  nous  a  pris !  
Dans mes photos de terres volcaniques, j’ai voulu témoigner de la transformation de la Nature, de la 
métamorphose  renouvelée  qu’elle  nous  propose,  mais  aussi  de  son  anthropomorphisme.    Nous 
sommes  à  son  image  et  ne  faisons  qu’un  avec  Elle.    Elle  nous  parle  de  nos  parts  d’ombres  et  de 
lumières, de l’impermanence des choses, de l’inévitable transformation qui nous accompagne.   

 

Certains  disent  qu’être  actif  professionnellement,  ça  rend  difficile  l’ouverture  sur  le 
monde.    Mais  pas  pour  toi  on  dirait ?    On  a  pas  l’impression    que  tu  veux  t’éclipser  du 
monde de l’avocat et que tu fais de la photo pour changer ? 

 

C’est  vrai.    J’y  trouve  un  équilibre  de  vie.    Le  lien  entre  l’émotion  et  la  rationalité,  la  sensibilité  et  la 
maîtrise, la liberté à chaque fois. Je dis souvent à mes amis et mes étudiants que comme avocat « on 
entre  par  effraction  dans  la  vie  d’autrui»,  en  photo,  on  entre  par  émotion  dans  la  vie  du  monde,  à  la 
rencontre de grands espaces et de l’Autre, on croise toujours l’inattendu qui, selon d’Ormesson, est au 
cœur du bonheur. C’est un engagement dans les deux cas.  Je suis engagée comme avocat et je le suis 
comme photographe.  Selon moi, si l’esthétique est importante, elle ne suffit pas en soi.  Elle est un 
véhicule  pour  faire  passer  un  message.    Certains  le  fond  à  travers  des  images  « trash »  et 
dramatiques, moi je le fais, en général, à travers une image positive qui invite à aimer, et à  
chérir  ce  qui  nous  entoure.    Ce  qui  importe,  c’est  que  la  beauté  du  monde  puisse  faire  passer  un 
message, un ressenti même si  ce n’est pas toujours facile à réaliser.  

 

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Tes  photos  au  départ  plus  réalistes,  évoluent  vers  une  forme  d’abstraction,  de 
simplicité, de pureté. C’est un choix de ta part ? 

Est-ce  un  choix  de  ma  part ou  la  réalité  qui  s’impose  à  moi  sous  un  nouveau  jour  ?    Dans  la 
représentation du paysage, c’est mon regard qui a changé et qui a évolué au fil du temps.  Le paysage 
n’échappe-t-il  pas  continuellement  au  cadre,  tout  comme  l’être  humain  échappe  aux  stéréotypes 
qu’on lui colle à la peau ?  Mon goût pour  la peinture, la poésie et la philosophie n’est pas étranger à 
cela.  Pour les peintres, les poètes et les philosophes, la Nature a toujours été une source d’inspiration 
profonde.  Ses strates, ses couches intimes et dégradées sont multiples et rappellent les nôtres, notre 
inconscient.  J’aime les travaux de Rothko, Spilliaert et les œuvres plus récentes de Bioulès, de Guy de 
malherbe dont les peintures évoquent la sérénité et le tumulte comme l’extraordinaire lumière ou les 
ténèbres  des  terres  volcaniques.  A  côté  de  cela,  garder  une  part  de  fantaisie  dans  le  travail 
photographique permet la légèreté.  C’est peut-être une note de surréalisme belge qui ressurgit dans 
certains de mes récents portraits. 

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Dans  tes    photographies,  on  y  voit  une  nature  sereine  et  élégante, 
éclatante, mais aussi torturée, ou bouillonnante.  
 
 
Pour quelles raisons ces terres volcaniques t’ intéressent-elles ? 

 

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Par leur lien avec l’Humain et le fait qu’elles témoignent de l’origine de la Terre.  La Nature 
nous  parle  de  nos  forces  et  de  nos  fragilités,  nous  sommes  à  son  image.    Par  ailleurs,  les 
volcans sont fascinants et nous ramènent aux origines de la planète. On y retrouve le magma 
originel.    Les  volcans,  bien  qu’arides,  sont  aussi  un  univers  de  femmes,  habités  par  des 
déesses.    Les  peuples  qui  y  vivent  les  vénèrent  et  vous  en  parlent  comme  d’un  être  humain.  
C’est  ainsi  à  Hawaï  mais  également  en  Sicile  où  les  déesses  transmettent  des  messages,  à 
suivre, aux Humains que nous sommes.  

 

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Tu  cherches  quelque  chose  de  rare,  de  différent,  d’exceptionnel.    Tu  n’aimes  pas  ce 
qui  est  normal,  simple.    Tu  aimes  aller  jusqu’à  la  limite  de  l’être  humain ?    Tu  te 
reconnais là-dedans ? 

 
J’aime toucher aux limites de l’être humain, c’est vrai, mais en réalité ma recherche, c’est plutôt de 
déceler  la  poésie  dans  la  simplicité  du  moment  et  la  pureté  des  paysages  et  des  êtres.    Comme 
d’autres, témoigner de l’invisible, comme de ce qui nous traverse et dont nous parlons moins.  C’est 
difficile de parler de l’intime avec les mots, la photo est un chemin à la rencontre de l’intimité. Mais 
grâce  à  la  photo    c’est  la  fenêtre  de  mes  perceptions  qui  s’ouvre  et  qui  me  permet  de  revisiter 
l’ordinaire, et ce qui m’ échappait apparaît dans sa singularité et sa beauté cachée.  
 

Un  nouveau  projet  artistique  que  tu  as  intitulé  « le  goût  de  l’Autre »,  centré,  cette 
fois,  sur  des  portraits,  est  en  cours  de  gestation.    Est  -ce  que  tes  portraits  c’est  une 
constatation ou un engagement ? 

 
Un  portrait,  c’est  en  soi  une  opinion,  une  relation  entre  le  photographe  et  son  sujet.    C’est  un 
engagement.   Le  travail  qui  m’est  confié  est  un  travail  sur la  différence,    qui  sera mené  tant  sur  le 
plan artistique que juridique, au sein de la Fédération Wallonie Bruxelles, et la Maison de la Francité 
où des écrivains seront également aux rendez-vous.  Mon objectif c’est de rassembler des textes et 
des  portraits  en  magnifiant  la  différence  que  certains,  de  nos  jours,  érigent  en  murs  alors  que  l’on 
devrait  plutôt    construire  des  ponts.    Témoigner  de  nos  diversités  aussi,  de  la  richesse  du  vivre 
ensemble,  combattre  les  préjugés,  les  replis  identitaires  et  les  discriminations.    Je  vais  tenter  de 
relever ce nouveau défi. 
 

Cet appel à l’ouverture, tu le traduis dans tes expositions  et dans d’autres projets? 

 
J’espère.    Le  fait  d’exposer  est  une  forme  d’ouverture  parce  que  je  suis    toujours  touchée  par  la 
diversité des personnes qui viennent aux expositions en termes de génération, de genre, de diversités 
culturelles,  ….  Je  prépare  également  mon  premier  livre  photographique.  Et  puis  il  y  a  les  réseaux 
sociaux où nous sommes nombreux à nous retrouver et à échanger facilement nos émotions et nos 
aspirations.  Ce  sont    des  lieux  de  partage  de  mes  nombreux  voyages,  de  la  beauté  de  la  planète  à 
travers  ses  différences  et  son  Histoire,  notre  Histoire.    Avec  pour  conviction  profonde  que  prendre 
soin de la Terre, c’est prendre soin de nous. Prendre de soins de nos différences, c’est prendre soin 
de notre multiplicité intérieure, de notre relation aux autres et permettre le vivre ensemble.  

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